Une année s'est écoulée depuis l'explosion des gazoducs Nord Stream. Plusieurs enquêtes journalistiques pointent vers une responsabilité occidentale, mais l'enquête des juridictions européennes, elle, n'avance pas.
«L’enquête de Hersh dépasse l’affaire du Watergate. Jamais les présidents américains n’étaient allés aussi loin. L’administration Biden est obligée d’y apporter une réponse circonstanciée, point par point», a déclaré ce 26 septembre Maria Zakharova sur sa chaîne Telegram.
En effet, un an jour pour jour après le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, le journaliste américain Seymour Hersh a publié un article rapportant, selon une source des services secrets américains, que «la décision de l’administration Biden de faire exploser les gazoducs avait peu à voir avec le fait de gagner ou de faire cesser la guerre en Ukraine».
«Elle était la conséquence des craintes de la Maison Blanche que l’Allemagne et l’OTAN […] tombent sous l’emprise de la Russie et de ses ressources naturelles immenses et bon marché», souligne le journaliste. Avant de conclure : «Elle découlait de la peur ultime de l’Amérique, celle de perdre sa suprématie de longue date en Europe de l’Ouest.»
Dans la foulée de l’explosion, de nombreux dirigeants, commentateurs et médias occidentaux s’étaient persuadés de la culpabilité russe.
Plusieurs hypothèses
Seymour Hersh, journaliste américain distingué du prestigieux Prix Pulitzer en 1970 pour avoir révélé le massacre de My Lai durant la guerre du Vietnam, avait fait sensation le 8 février dernier avec un article dénonçant l’implication de la CIA dans le sabotage des gazoducs. Une allégation rejetée en bloc le jour même par la Maison Blanche, qui l’avait estimée «complètement fausse».
Le 7 mars, une enquête du New York Times avait évoqué «un groupe pro-ukrainien», citant des «officiels» américains. Une hypothèse qualifiée d’«insensée» par le président russe une semaine plus tard sur la chaîne Rossia 1 : «C’est un attentat conduit à un niveau étatique, aucun amateur n’est capable d’accomplir un tel acte.» Réinterrogé sur le même sujet le 25 mars, Vladimir Poutine s’était dit «entièrement d’accord avec l’hypothèse de Hersh».
Au mois de juin, le Washington Post puis la chaîne publique néerlandaise Dutch NOS, en collaboration avec la télévision allemande ARD et l’hebdomadaire Die Zeit, citant des sources ukrainiennes, indiquaient que la CIA, après avoir reçu un rapport «alarmant» du renseignement militaire néerlandais (MIVD), aurait «mis en garde l’Ukraine de ne pas faire exploser» le Nord Stream en juin 2022.
La Russie accuse la partialité de l’enquête
Alors que l’enquête a été confiée aux pays dont les eaux territoriales sont traversées par le gazoduc, à savoir l’Allemagne, la Suède et le Danemark, la Russie a exprimé son mécontentement devant leur absence de résultat. Ainsi, le 25 septembre, Vladimir Babrine, ambassadeur russe à Copenhague, regrettait qu’«il n’y ait eu aucune avancée […] Le Danemark refuse à la Russie non seulement de mener une enquête conjointe, mais de répondre à la majorité des demandes d’aide juridique dans cette affaire criminelle».
Même constat de l’ambassadeur russe à Berlin, Sergueï Netchaïev, pour qui «les pays chargés de l’enquête n’ont à ce jour publié aucun résultat concret». Le 25 septembre, il déplorait sur Telegram que «les demandes officielles ne donnent lieu qu’à des réponses formelles – quand elles sont suivies de réponses – et que les propositions de coopérations soient déclinées, de même que les appels à une transparence maximale du déroulé de l’enquête». Le diplomate a en outre relevé que tout cela suscitait «une extrême inquiétude et des questions légitimes quant à l’objectivité et l’impartialité de l’enquête».
Fin juin, le procureur suédois Mats Ljungqvist avait déclaré qu’il avait rencontré son homologue allemand et que l’enquête approchait de «sa phase finale». Il espérait alors conclure les investigations «à l’automne».
Devant l’absence de toute avancée, le représentant permanent de la Russie à l’ONU, Vassili Nebenzia, avait le 11 juillet regretté l’absence de collaboration et de transparence des parties concernées avec la Russie, qui «attend[ait] des autorités allemandes, danoises et suédoises qu’elles prennent des mesures concrètes pour mener une enquête objective et transparente, avec l’implication obligatoire des organes d’enquête russes». Le diplomate avertissait en outre celles-ci que «tout effort visant à dissimuler des traces de sabotage en mer Baltique [serait] voué à l’échec».
L’Occident brouille les pistes, selon Zakharova
Dans sa conférence de presse du 19 septembre, la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova accusait les pays occidentaux de «non seulement détourner l’attention des points essentiels, mais aussi de “nettoyer” les traces du crime et d’insinuer de manière trompeuse que la Russie est complice [de cette attaque]». Puis, poursuivait-elle, «ils annonceront des “coupables”. C’est un scénario bien rôdé». Et Maria Zakharova de citer les précédents de Boutcha et de l’affaire Skripal.
La diplomate a jugé que la conséquence directe de cette «veulerie et de cet entêtement à ne pas défendre ses intérêts ni sa propre sécurité énergétique» était «la perte par l’Union européenne de toute chance théorique de gagner son autonomie stratégique».
Maria Zakharova a enfin rappelé la détermination de la Russie à mener l’enquête à son terme : «Nous déploierons tous les efforts possibles, notamment dans le cadre de formats multilatéraux, pour que le monde connaisse la vérité. L’une de ces étapes doit être le briefing de ce 26 septembre qui se tiendra au Conseil de sécurité de l’ONU à l’occasion du premier anniversaire de l’attentat.»
Réunion du Conseil de sécurité sur les gazoducs Nord Stream : Nebenzia critique l’enquête