Chroniques

La reconnaissance de la compétence de la CPI ou quand Pachinian confirme sa trahison de l’Arménie

L’abandon du Haut-Karabagh par son Premier ministre Nikol Pachinian a entraîné l’Arménie dans une fuite en avant sur la scène internationale. Une analyse de Karine Bechet-Golovko.


Adhésion de l’Arménie à la CPI : «Une décision extrêmement hostile à la Russie», selon le Kremlin

Ce 13 octobre, le président arménien a ratifié le Traité de Rome, reconnaissant la compétence de la CPI. Même si l’Arménie prétend dépolitiser cet acte, il est significatif que l’allégeance à l’une des juridictions internationales les plus critiquées pour sa politisation intervienne après l’abandon par le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, du Haut-Karabagh et des populations arméniennes qui y vivent à l’Azerbaïdjan. La signification politique est sans ambiguïté possible : Pachinian fait entrer l’Arménie de plain-pied sous la coupe américaine et veut séparer, même par la force, les peuples russe et arménien. Il achève ainsi la mission qui lui avait été confiée depuis son entrée en fonction par ses tuteurs.

Par 60 voix contre 20, le Parlement arménien a voté en faveur de la ratification du Statut de Rome le 3 octobre 2023, les deux partis d’opposition se prononçant contre. Tout acte prend sa signification lorsqu’il est replacé dans son contexte. En l’occurrence, le contexte est double. A la fois, il s’agit de l’agenda intérieur et de la capitulation au Haut-Karabagh, mais également de l’agenda international et concrètement des instances européennes.

C’est Pachinian qui a trahi les Arméniens du Haut-Karabagh

Le 19 septembre, l’Azerbaïdjan a lancé une guerre éclair contre le Haut-Karabagh. Immédiatement, Pachinian a déclaré que l’Arménie ne se battrait pas. Les forces russes en place, étant des forces de maintien de l’ordre, ne pouvaient prendre les armes, surtout pour intervenir dans un conflit territorial qui engage l’Arménie et non pas la Russie. En 48 heures, les forces locales ont été dépassées et la Russie a participé aux pourparlers entre elles et l’Azerbaïdjan, afin de garantir au moins la sécurité des populations arméniennes, qui ont ainsi pu quitter leur domicile saines et sauves. Pachinian les a trahies, la Russie ayant les mains liées.

Comme l’a déclaré avec justesse le ministère russe des Affaires étrangères :

Le sort du règlement du Haut-Karabagh a été radicalement influencé par la reconnaissance officielle du Haut-Karabagh par Erevan, en octobre 2022 et en mai 2023 lors des sommets sous les auspices de l’Union européenne, comme faisant partie du territoire de l’Azerbaïdjan. Cela a modifié les conditions fondamentales dans lesquelles la Déclaration des dirigeants de la Russie, de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie du 9 novembre 2020 a été signée, ainsi que la position du contingent russe de maintien de la paix (CRP). […] L’essentiel est maintenant de revenir de toute urgence à la mise en œuvre de l’ensemble des accords trilatéraux au plus haut niveau de 2020-2022, qui définissent toutes les étapes d’une solution pacifique au problème du Karabagh, de mettre fin à la confrontation armée et de faire tout son possible pour garantir les droits et la sécurité de la population du Haut-Karabagh.

L’abandon du Haut-Karabagh par la voix de Pachinian a entraîné l’Arménie dans une fuite en avant sur la scène internationale. Immédiatement, une délégation américaine est arrivée, sur fond d’exercices militaires communs, et la situation fut parfaitement maîtrisée.

L’Arménie se détourne de la Russie, les «réfugiés» arméniens, c’est-à-dire les populations déplacées, sont pris en charge et répartis dans le pays pour éviter la constitution d’une force socio-politique anti-Pachinian et la ligne politique peut dès lors se durcir. Surtout que les nombreuses manifestations en soutien au Karabagh sont écrasées par la force et dans le silence de la communauté internationale.

Le pas suivant, symbolique, est la reconnaissance de la CPI, juridiction dont la radicalisation politique antirusse a été prouvée par la mise en place d’un accord avec l’Ukraine pour enquêter sur les crimes commis sur le territoire ukrainien (évidemment attribués à la Russie), et par l’adoption le 17 mars 2023, en dehors de sa compétence formelle, d’un mandat d’arrêt contre le président russe et contre l’Ombudsman pour les enfants.

L’allégeance au monde atlantiste peut ainsi s’observer en Arménie. La question qui va se poser ensuite est celle de la présence des bases militaires russes sur son territoire et ainsi, à terme, de son intégration dans l’OTAN. 

Avec Pachinian, l’Arménie opère un virage géopolitique

Parallèlement, l’agenda européen se cale dans les interstices américano-arméniens. Ainsi, le vote au Parlement arménien concernant la CPI a été organisé à la veille de la participation de Pachinian à la réunion de la Communauté politique européenne, en Espagne le 5 octobre. Cette réunion sous l’égide du Conseil européen devait conduire à l’adoption d’une résolution concernant le sort du Haut-Karabagh. Sans même la participation de l’Azerbaïdjan, qui n’a pas vu l’intérêt de se déplacer. L’Arménie a signé une déclaration commune avec le président du Conseil européen, Charles Michel, le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Olaf Scholz admettant de facto l’appartenance du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan, en tenant compte les superficies attribuées à chacun des pays :

Ils demeurent attachés à tous les efforts en faveur de la normalisation des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sur la base de la reconnaissance mutuelle de la souveraineté, de l’inviolabilité des frontières et de l’intégrité territoriale de l’Arménie (29 800 km²) et de l’Azerbaïdjan (86 600 km²), comme indiqué dans les déclarations du président Charles Michel des 14 mai et 15 juillet 2023. Ils ont appelé au respect rigoureux du principe du non-recours à la menace ou à l’emploi de la force. Ils ont souligné l’urgence d’œuvrer à une délimitation des frontières sur la base des cartes d’état-major soviétiques les plus récentes qui ont été fournies aux parties, ce qui devrait également servir comme fondement pour maintenir une distance entre les forces, ainsi que pour finaliser le traité de paix et s’attaquer à toutes les questions humanitaires.

Il est difficile de ne pas faire un lien entre ces éléments, au regard de l’évolution géopolitique de l’Arménie. Finalement, le président arménien a ratifié le Statut de Rome le 13 octobre. La Russie, à juste titre, a considéré cette décision comme un acte inamical. Pachinian, de son côté, continue toujours l’illusoire normalisation du virage géopolitique de l’Arménie et déclare que la reconnaissance par l’Arménie de la compétence de la CPI résulte d’une décision prise antérieurement au lancement du mandat d’arrêt contre Poutine et serait motivée par des considérations de sécurité intérieure.

Comment la CPI peut-elle garantir la sécurité intérieure arménienne ? Soyons sérieux. Cela fait des années que cette institution est accusée de politisation. Tout d’abord, au niveau de sa politique de sélection des affaires à examiner. Les pays comme les Etats-Unis ou Israël, qui ne reconnaissent pas sa compétence, sont hors de responsabilité, alors qu’il n’est pas difficile de trouver des motifs pour engager leur responsabilité pour crimes de guerre, au minimum. L’actualité récente nous en donne de nombreuses illustrations. En revanche, alors que la Russie n’en est pas membre, la CPI s’est autorisée à lancer un mandat d’arrêt contre deux de ses ressortissants. Deux poids, deux mesures. Autre facteur de politisation, son absence de financement durable. Le système des contributions volontaires permet d’orienter l’angle sous lequel la Cour va regarder ce qui se passe dans le monde. Alors que la CPI était focalisée sur l’Afrique, actuellement son attention est attirée, notamment financièrement, sur le conflit en Ukraine – scrutant la responsabilité de la Russie.

Donc revenons à la déclaration de Pachinian : comment l’Arménie entend-elle  pouvoir utiliser la CPI pour mieux garantir sa sécurité ? Et surtout contre qui ? Le moment du choix de la ratification n’est pas un hasard. Il se place à la fois lors de la radicalisation du conflit qui se déroule en Ukraine, où tous les États sont sommés de se prononcer, puisqu’il n’y a pas de place pour la neutralité dans le monde global. Mais également, cette décision est rendue possible par la reddition des forces traditionnelles arméniennes au sein de la politique intérieure, ayant rendu les armes et remettent ouvertement le pays entre les mains des Etats-Unis. Il reste à espérer que mise au pas de l’Arménie à long terme demande trop d’investissement en hommes et en argent, et que les Arméniens, ayant chacun des proches en Russie, puissent obliger un retour à la lucidité. C’est en fait l’avenir de l’Arménie qui se joue. Et la ratification du Traité de Rome est pour l’instant un mauvais signe.

 




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