«Ce qu’il reste de l’Olympisme, bien loin de la noblesse morale attendue, ressemble à s’y méprendre à un club dévoyé», estime Karine Bechet-Golovko, fustigeant la discrimination visant les athlètes russes, d'autant plus criante alors que ceux d'Israël n'en subissent aucune.
Dans le monde moderne, plein de possibilités puissantes et que menacent en même temps de périlleuses déchéances, l’Olympisme peut constituer une école de noblesse et de pureté morales autant que d’endurance et d’énergie physiques, mais ce sera à la condition que vous éleviez sans cesse votre conception de l’honneur et du désintéressement sportifs à la hauteur de votre élan musculaire. L’avenir dépend de vous vous.
Pierre de Courbertin doit se retourner dans sa tombe. Ce qu’il reste de l’Olympisme, bien loin de la noblesse morale attendue, ressemble à s’y méprendre à un club dévoyé. Que peut-on attendre d’autre d’une société qui a remplacé le culte de l’effort par celui du plaisir, l’endurance par le dopage, la pureté morale par l’étalage médiatique ?
Israël n’a pas été sanctionné comme la Russie
Les scandales de dopage, de plus en plus ciblés contre certains pays non alignés, comme la Russie après 2014, furent le préambule à une fuite en avant politique de toute l’institution des JO, dont le masque vient de tomber avec le conflit israélo-palestinien. Ainsi, selon que vous soyez Israélien ou Russe, vous aurez ou non le droit de participer sous votre drapeau, indépendamment des conflits militaires et vous serez sanctionné ou glorifié, vos athlètes seront soumis à une responsabilité individuelle ou politique collective d’atteinte à l’ordre globaliste. L’Olympisme, n’en déplaise à de Coubertin, en a fini avec «l’école de noblesse», si jamais tel fut le cas.
D’un côté, la Russie. Le conflit qui se déroule en Ukraine aujourd’hui n’a pas commencé en février 2022 avec le lancement de l’opération militaire spéciale russe. Il n’a pas même commencé en 2014, avec la réalisation du Maïdan, cette opération spéciale atlantiste devant produire un effet de choc suffisamment important dans la société ukrainienne, pour la faire s’effondrer sur elle-même. Formellement, il a commencé en 2004, avec la Révolution orange et la déstabilisation du système politique ukrainien sous l’égide de l’OSCE. La rue peut gagner contre les institutions politiques, donc les institutions politiques sont illégitimes. Depuis lors, la gouvernance extérieure a été introduite par étapes, les programmes internationaux se sont développés à la vitesse de la lumière et l’OTAN a pris en main l’armée ukrainienne. Dix ans plus tard, le conflit peut développer sa forme violente avec le Maïdan, puis se diriger vers les zones russophones, enfin vers la Russie. Qui finit par répondre… en 2022.
D’un autre côté, Israël. Enchaînant les violations du droit international, ne permettant pas, avec l’appui américain, la constitution de l’État palestinien, pendant de l’État d’Israël, qui était envisagé par la résolution de l’ONU de 1947. Occupation de territoires, exode forcé de populations, tout s’enchaîne jusqu’à ce jour, au rythme lent des résolutions de l’ONU, systématiquement ignorées, comme on peut par ailleurs le lire sur le site même de cette organisation :
En 1948, pendant la guerre qui l’oppose aux pays arabes voisins, l’État juif envisagé dans la résolution déclare son indépendance sous le nom d’Israël et prend le contrôle de 77% du territoire de la Palestine sous mandat, notamment de la majeure partie de Jérusalem. Plus de la moitié de la population arabe palestinienne s’enfuit ou est expulsée. La Jordanie et l’Egypte se partagent le contrôle du reste des territoires assignés à l’État arabe par la résolution 181 (II). Lors de la guerre de 1967, Israël occupe ces territoires (à savoir la bande de Gaza et la Cisjordanie), y compris Jérusalem-Est, qu’il annexera par la suite. La guerre provoque un deuxième exode palestinien ; on estime que près d’un demi-million de personnes auraient pris la fuite.
D’un côté, en Russie, nous avons une réponse à une politique d’agression à ses frontières, puis sur son territoire frontalier – ce qui entraîne une condamnation de la «communauté internationale atlantiste». D’un autre côté, nous avons la politique systématiquement agressive d’Israël, qui est protégé par cette même «communauté internationale atlantiste».
La Russie suspendue du CIO
D’un côté, en Russie, nous avons des référendums organisés dans les régions de Donetsk, de Lougansk, de Kherson et de Zaparojie, suite à la chute de l’étaticité en Ukraine et à la volonté clairement et régulièrement exprimée de ces populations de revenir dans le giron russe, ce qui conduit à l’adoption d’une mesure d’exclusion du Comité olympique russe. En effet, la commission exécutive du CIO a immédiatement, en octobre dernier, décidé de suspendre sine die le Comité olympique russe, pour avoir osé inclure des athlètes venant des nouvelles régions.
Autrement dit, le CIO ne veut pas reconnaître le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit de la Russie à ne pas laisser durer éternellement une agression. Et les athlètes russes portent une responsabilité collective – puisqu’ils sont russes. Et le CIO se prononce donc sur des questions de politique internationale, qui dépassent de loin sa compétence.
D’un autre côté, à l’égard des athlètes israéliens, la position du CIO est diamétralement opposée, il ne veut absolument pas s’occuper des aspects politiques de la situation, et pour cause. Ainsi, les athlètes israéliens ne sont pas responsables de la politique menée par leur gouvernement et le CIO ne reconnaît que le principe de la responsabilité individuelle – en tout cas, à leur égard. Il menace donc de sanctions toute personne qui aurait un comportement discriminatoire envers eux dans le cadre de l’organisation et du déroulement des JO.
La Russie fustige une discrimination
Comment, dans cette situation, ne pas parler de discrimination, comme le fait le ministère russe des Affaires étrangères ? Pour reprendre les paroles exactes :
Nous considérons le commentaire du service de presse du Comité international olympique (CIO) concernant l’exclusion des athlètes russes de la participation aux Jeux olympiques comme une manifestation de discrimination de la part des dirigeants du CIO.
En effet, la formulation du communiqué de presse du CIO est assez surprenante :
La participation aux Jeux olympiques n’est en aucun cas un droit humain et la récente modification de la Charte olympique n’y est pas liée.
Qui parle de «droit humain» ? Il est question de discrimination, comme le soulignait le président russe, et sur ce point, le CIO n’apporte aucune réponse. Il considère a priori que la discrimination n’est pas ethnique, mais nationale, car liée au passeport. Rappelons ici la difficulté de traduction de ces deux termes russes d’ethnique et de national, difficulté qui fut manifestement exploitée par le CIO. Celui-ci développe par ailleurs ensuite sur plusieurs pages le régime de cette discrimination – non ethnique, mais bien nationale. Or, il ne s’agit pas de la seule expression de la mauvaise foi de cette institution. En effet, le communiqué emploie également des expressions, touchant à l’absurde sur le plan juridique, pour tenter de légitimer cette discrimination. Ainsi, l’inclusion des sportifs originaires des nouvelles régions constituerait, je cite, «une violation de la Charte olympique, car elle porte atteinte à l’intégrité territoriale du CNO d’Ukraine». Depuis quand un «comité», même national, bénéficie-t-il d’une «intégrité territoriale» ?
Même s’il est national, il représente un Etat, il n’est pas cet Etat. C’est l’Etat, lorsqu’il existe, qui bénéficie d’une intégrité territoriale, jamais un comité.
Par ailleurs, en ce qui concerne le concept très progressiste de «trêve olympique», qui ne figure pas dans la Charte olympique, mais dans les résolutions de l’AG de l’ONU, dont la soi-disant violation par la Russie lors du déclenchement de l’opération militaire en 2022 sert de fondement à la discrimination des sportifs russes, il est surprenant, s’il ne s’agit pas d’une ségrégation, qu’il ne soit pas appliqué, notamment à Israël. Avec les invasions territoriales réalisées à plusieurs reprises par Israël, si le CIO ne veut pas faire de discrimination ciblée, le régime appliqué à la Russie, qui pourtant intègre les territoires avec l’assentiment des populations concernées, devrait alors être appliqué à l’identique à Israël, qui occupe par la force des territoires palestiniens et est en train de commettre ce qui ressemble juridiquement de plus en plus un génocide à Gaza, à en croire la convention de Genève pour la prévention et la répression du génocide.
Le CIO, une institution dévoyée
Face à une telle injustice, la Russie a décidé de faire un recours contre la décision de la commission exécutive du CIO concernant la suspension du Comité olympique russe. Sur fond de conflit israélo-palestinien et d’impunité totale d’Israël, le régime de sanctions appliqué à la Russie est ouvertement discriminatoire. Pourtant, il y a peu à attendre du CIO : cette institution s’est dévoyée et est ouvertement devenue un club fermé, dans lequel il est impératif de respecter les règles de l’ordre atlantiste. Par ailleurs, dans son communiqué, le CIO reconnaît et revendique même cette politisation, avec une étrange fierté à prendre position dans un conflit complexe :
«La position du CIO est claire : nous avons condamné la guerre dès le premier jour. Nous avons imposé des sanctions sans précédent aux gouvernements russe et bélarussien.»
Est-ce le rôle de l’instance olympique que de condamner les guerres ? C’est une piste glissante, car pour être objectif, il devrait alors condamner, soit toutes les guerres, soit aucune. Or, le CIO condamne la Russie, mais il ne condamne ni Israël et refuse ouvertement de le faire, et il se tait docilement à l’égard du plus grand fauteur de guerre, que sont les États-Unis. Quand de Coubertin parlait des «périlleuses déchéances» de l’époque, il était visionnaire. Malheureusement, le CIO a conduit l’Olympisme dans les périlleuses déchéances de l’amoralité.
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