Chroniques

Le régime de Zelensky persiste: davantage d’Ukrainiens doivent mourir avant que tout ne soit fini

Le nouvel effort de Kiev pour mobiliser davantage de soldats pour le front est une catastrophe, doublée d'une injustice, selon Tarik Cyril Amar.

Cet article a été initialement publié sur RT International par Tarik Cyril Amar, historien allemand à l’Université Koc d’Istanbul, spécialisé sur la Russie, l’Ukraine, l’Europe de l’Est, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide culturelle et la politique de la mémoire.

La situation de l’Ukraine est extrêmement précaire pour ne pas dire plus. Un terme plus réaliste est « désastreuse ». Le pays est confronté à une avancée régulière et progressive de l’armée russe qui est très motivée et entraînée et qui est supérieure en quantité et en équipement. Même le commandant en chef ukrainien a admis : « La situation sur le front Est s’est considérablement détériorée ces derniers jours. » C’est le moins qu’on puisse dire, cela prouve néanmoins que les choses sont encore pires.

Nous savons également — grâce aux sondages ukrainiens — que de plus en plus d’Ukrainiens sont disposés à mettre fin à la guerre en faisant des concessions. Pourtant le régime de Zelensky met les bouchées doubles. Au lieu d’entamer des négociations sérieuses — concrètement celles où l’on aligne ses objectifs en face de ses pertes pour éviter des pertes encore plus importantes — il cherche à jeter davantage de vies dans une guerre qui est devenue un carnage pour l’armée ukrainienne.


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C’est le but numéro un de la nouvelle loi de mobilisation qui vient d’être adoptée par le Parlement ukrainien. (En outre, le président Zelensky a déjà approuvé des mesures supplémentaires qui seront intégrées à la nouvelle loi une fois qu’il l’aura également signée, mais au fond il s’agit d’une seule série de lois que de nombreux Ukrainiens et observateurs extérieurs qualifient d’unique et même loi, ce qui sera maintenu pour la suite de l’article.)

La nouvelle loi de mobilisation est complexe et consiste en une longue liste de mesures parmi lesquelles figurent par exemple de nouvelles règles de réquisition des voitures de particuliers par l’armée. Son principe est pourtant simple : l’âge de mobilisation est abaissé de 27 à 25 ans. Tous les hommes ukrainiens de 18 à 60 ans vont devoir venir s’enregistrer y compris ceux qui vivent à l’étranger. Y manquer sera considéré comme une évasion du service militaire. Pour pouvoir contrôler facilement le respect de ces règles, tous les hommes enregistrés doivent avoir leurs papiers sur eux tout le temps.

Accuser la Russie de tous les maux ne tient plus

La loi, controversée depuis des mois, n’a pas été bien accueillie par la société ukrainienne. Lors d’une émission télévisée « Oukraïnska Pravda », média à caractère antirusse très prononcé, Maria Berlinska, militante ukrainienne à la renommée tout aussi remarquable, l’a qualifiée de fiasco. Et elle est loin d’être la seule. Il est vrai que certains experts ukrainiens ont essayé — une fois de plus — de mettre tout mécontentement populaire sur le dos de l’ingérence russe uniquement. Or cette fois-ci, cette bonne vieille technique du manuel OTAN-Zelensky ne prend pas. Même les grands médias occidentaux admettent que la loi est « impopulaire ».

Il n’est pas sorcier de comprendre pourquoi de nombreux Ukrainiens sont en colère. La pire déception est peut-être que la loi ne contient pas la clause de démobilisation attendue par beaucoup. Considérez cela comme un accord tacite : on laisse le gouvernement aspirer davantage de jeunes hommes comme chair à canon mais en contrepartie il devait libérer les militaires épuisés qui ont déjà servi (et survécu) pendant des années (il était question d’une période de 36 mois). Même le New York Times a remarqué que les militaires ukrainiens actuels sont « abîmés et épuisés ». Pourtant, aucune libération ne s’est jamais produite, ne serait-ce que pour certains d’entre eux. Le régime de Zelensky a proposé une loi qui ne fait que prendre sans rien donner en retour.

Un besoin de 300 000 hommes ?

Le nombre de recrues est le deuxième point majeur sensible : la loi est destinée à remplir les rangs qui se sont clairement réduits (ce qui va en contradiction totale avec les déclarations rares et absurdement basses — et donc mensongères — du régime sur le nombre des pertes). Des officiers ukrainiens haut gradés ont averti publiquement que « certaines » zones de front qui sont censées être tenues par huit ou dix soldats l’étaient en réalité par deux ou quatre. Cela signifie que sur 100 mètres à défendre seulement 20 mètres le sont réellement. Bien sûr, de telles déclarations visent également à susciter un soutien politique en faveur de la loi de mobilisation. Mais elles nous apprennent aussi quelque chose de la réalité du terrain.


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Ce que personne n’a pourtant dit, ni le président Zelensky ni aucun de ses hauts gradés, c’est dire combien d’Ukrainiens ils voulaient. L’ancien commandant en chef Valéry Zaloujny avait carrément demandé un demi-million. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a perdu son poste. Son successeur Oleksandr Syrsky a compris le message et s’est tu, laissant seulement échapper que ce ne serait pas 500 000 hommes. Rassurant, n’est-ce pas ?

De toute évidence, le régime de Kiev préfère se mettre en quête de plus d’hommes pour son carnage sans trop attirer l’attention du public. Mettez-vous un instant à leur place : si vous deviez envoyer à une guerre sans issue, disons 300 000 hommes, pour la plupart très réticents et potentiellement rebelles, aimeriez-vous que ces hommes, leurs familles et leurs amis sachent combien ils sont ? 300 000 hommes, à propos, est un chiffre que Zelensky a mentionné, bien que de façon détournée, en présentant son estimation (ce n’est, bien sûr, qu’une estimation) des troupes supplémentaires bientôt déployées par la Russie.

Une nouvelle loi de mobilisation injuste

La troisième raison principale pour laquelle l’opinion publique est mécontente de la nouvelle loi de mobilisation est que cette dernière n’est pas juste. Les Ukrainiens ordinaires ont une perception aiguë et absolument réaliste que leurs élites politiques et d’affaires, généralement représentées par les seules et mêmes personnes, ne partagent pas les risques et les sacrifices de la guerre. Le régime et ses médias tentent de riposter à ce fait-ci au moyen de leur propre propagande, en le qualifiant de « manipulation russe ».

Cependant, une telle ingérence extérieure n’est pas du tout nécessaire. Prenez de nouveau, par exemple, Maria Berlinska qui s’exprime pour « Oukraïnska Pravda ». Bien qu’elle soit pour la poursuite de la guerre depuis des années (ayant pourtant des idées tout à fait irréalistes sur la manière dont cela doit se faire), elle se demande également pourquoi « l’enfant d’une mère d’un village abandonnée […] devrait devenir un drapeau dans le sol (finir dans un des cimetières militaires dont le nombre augmente sans cesse), alors que d’autres roulent autour de Kiev dans des voitures hors de prix, partent pour des vacances onéreuses à l’étranger, s’enrichissent tout simplement et font des affaires en pleine guerre ».

Une aggravation du problème démographique ukrainien

Ajoutez ceci à tout ce qui précède : ceux qui voulaient se battre se sont déjà portés bénévoles. De plus, au moment où ils l’ont fait, un optimisme erroné a été largement répandu. Ces illusions se sont maintenant évaporées. Toute personne contrainte de combattre connaît désormais deux choses : premièrement, la guerre ne se déroule pas bien (ce qui est en fait la raison pour laquelle cette personne a été mobilisée) et deuxièmement, sa famille, ses amis ou ses collègues ont déjà péri ou, s’ils ont eu de la « chance », ont été faits prisonniers ou sont revenus avec de graves blessures et des traumatismes psychologiques qui resteront probablement pour toute la vie. Enfin, le fait d’envoyer combattre pour l’Occident encore plus de jeunes à cette guerre par procuration ne fait qu’aggraver le grave problème démographique de l’Ukraine, car сe n’est pas seulement la génération actuelle qui sera perdue, mais aussi les pères (et certaines mères) de la génération suivante.

Cette loi de mobilisation est une réponse malheureuse à la catastrophe d’une défaite imminente. Elle est également une catastrophe en soi. Idéalement, elle serait la dernière goutte d’eau qui fera déborder la vase, incitant les Ukrainiens à se révolter enfin contre un régime qui les a vendus au profit de la géopolitique américaine et européenne. Idéalement.

 


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