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Ne titillez pas l’Ours : l’Occident doit enfin prêter l’oreille aux avertissements russes

La récente escalade verbale mettant à l’épreuve les lignes rouges fixées par Moscou montre qu’il ne sera plus possible d’ignorer le Kremlin, estime Tarik Cyril Amar. Analyse.

Cet article a été initialement publié sur RT International par Tarik Cyril Amar, historien allemand enseignant à l’université Koc à Istanbul. Ses thèmes de recherche sont la Russie, l’Ukraine, l’Europe de l’Est, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, l’aspect culturel de la Guerre froide et les politiques de la mémoire.

Nous avons traversé une crise intense, bien qu’étouffée, dans la confrontation politico-militaire en cours entre la Russie et l’Occident par l’intermédiaire de l’Ukraine. L’essence de cette crise est simple : Kiev et ses soutiens occidentaux ont perdu l’initiative et pourraient être au bord de la défaite, comme l’admettent de plus en plus souvent les hauts responsables en Occident.

Paris et Londres sont prévenus

Face à l’impasse à laquelle l’Occident s’est acculé, certains acteurs occidentaux importants ont menacé d’une nouvelle escalade. Le secrétaire britannique aux Affaires étrangères David Cameron, en particulier, a publiquement encouragé Kiev à se servir des missiles Storm Shadow pour frapper le territoire russe. Emmanuel Macron a également continué à menacer d’une intervention directe, et non pas discrète comme с’est le cas de nos jours, des unités françaises (lire : de l’OTAN) en Ukraine. Par ailleurs, un article curieux et très discuté indique que le déploiement de 1 500 soldats de la Légion étrangère a déjà débuté. Même s’il est difficile de vérifier cette source, cette affirmation est trop plausible pour être simplement écartée.


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En revanche, Moscou a émis nombre d’avertissements sévères qui ont fixé ou souligné ses lignes rouges. Le Kremlin a annoncé des manœuvres pour tester ses armes nucléaires tactiques. La Biélorussie a fait de même, mais dans le cas de Minsk, les armes en question sont également russes, bien entendu. Par ailleurs, Moscou a sans équivoque informé les ambassadeurs du Royaume-Uni et de la France des risques que couraient leurs gouvernements.

S’adressant à Londres, Moscou a clairement indiqué que des frappes de Kiev sur le territoire russe à l’aide de missiles britanniques exposeraient le Royaume-Uni à des conséquences catastrophiques, en particulier à des représailles contre l’armée britannique, où qu’elle se trouve. S’agissant de la France, le Kremlin a fustigé le comportement « belliqueux » et « provocateur » de l’Hexagone, qualifiant d’infructueux les efforts du gouvernement français pour créer « une incertitude stratégique ».

Cette crise semble pour l’instant apaisée. Plusieurs signes indiquent que l’Occident a entendu le message. Par exemple, Jens Stoltenberg, figure de proue de l’OTAN, a ouvertement déclaré que l’alliance nord-atlantique n’avait pas intention de déployer ses troupes en Ukraine.

Mais se sentir trop rassuré serait une erreur, car au fond, cette crise est le résultat de l’antagonisme entre, d’une part, un problème occidental qui est loin de disparaître et, d’autre part, la politique persistante de la Russie que trop d’Occidentaux semblent refuser de prendre suffisamment au sérieux.


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Le problème occidental tient à ce qu’une défaite face à la Russie serait d’un ordre de grandeur pire que le fiasco de la retraite précipitée d’Afghanistan en 2021. Ironiquement, il en est ainsi parce que l’Occident a lui-même fait en sorte que cette confrontation inutile avec la Russie puisse causer des dommages sans précédent à l’OTAN et à l’UE.

Premièrement, l’Occident a insisté pour que l’Ukraine soit traitée comme un quasi-membre de facto de l’OTAN. Cela signifie qu’au cas où Kiev serait vaincu, la Russie infligera également une défaite à l’alliance clé de Washington. Deuxièmement, l’Occident a investi dans cette guerre par procuration d’importantes et croissantes sommes d’argent et quantités de matériels, ce qui veut dire que l’Occident s’est affaibli et, ce qui est peut-être encore plus important, a révélé sa faiblesse. Troisièmement, l’Occident s’est efforcé d’obtenir l’effondrement de l’économie russe et de sa réputation à l’international. L’échec de ces deux tentatives n’a fait que renforcer la Russie sur les deux plans et, une fois de plus, a démontré les limites du pouvoir occidental. Enfin, la subordination radicale de l’UE à l’OTAN et Washington a, pour ainsi dire, amplifié les dommages géopolitiques.

En bref, lorsque la crise ukrainienne a commencé en 2013-2014 et s’est ensuite considérablement aggravée en 2022, la Russie avait, à la différence de l’Occident, des intérêts sécuritaires vitaux en jeu. Toutefois, l’Occident a fait jusqu’à présent des choix à cause desquels ce conflit et son issue sont capables d’infliger d’importants dommages stratégiques à sa crédibilité, sa cohésion et sa puissance, car les excès ont des conséquences. Voilà, en bref, pourquoi l’Occident est acculé dans l’impasse où il reste après cette crise.

«L’escalade pour la désescalade»

De l’autre côté, il y a la politique de Moscou, à savoir sa doctrine nucléaire. Beaucoup de commentaires en Occident tendent à négliger ou à minimiser ce facteur, caricaturant les avertissements répétés de la Russie au sujet des armes nucléaires, perçus comme des « rodomontades ». En réalité, pourtant, ces avertissements représentent l’expression cohérente d’une politique qui s’est développée depuis le début des années 2000, c’est-à-dire depuis près d’un quart de siècle.

L’un des principes clés de cette doctrine est que la Russie se réserve explicitement la possibilité d’utiliser les armes nucléaires aux premières étapes d’un conflit majeur et avant que l’adversaire n’y ait eu recours. De nombreux analystes occidentaux ont décrit l’objectif de cette doctrine comme la mise en œuvre de la stratégie de « l’escalade pour la désescalade », ce qui signifie particulièrement mettre fin à un conflit conventionnel à des conditions favorables, en utilisant de manière limitée les armes nucléaires afin de dissuader l’adversaire de poursuivre les hostilités.

Le terme « l’escalade pour la désescalade » étant apparu en Occident et non pas en Russie, cette interprétation occidentale de la politique russe a joué un rôle important dans la politique et les débats en Occident et par conséquent est également critiqué. En outre, mais il s’agit là d’une question distincte, certains analystes soulignent que l’idée de « l’escalade pour la désescalade » n’est pas propre à un pays, mais plutôt inhérente à la logique de la stratégie nucléaire en général, ajoutant que d’autres puissances nucléaires ont une politique similaire et que l’idée, quel que soit le pays qui l’adopte, pourrait ne pas fonctionner.

La doctrine nucléaire russe est complexe

Il faut dire que la doctrine nucléaire russe est, comme on peut s’y attendre, complexe. Alors qu’Emmanuel Macron a pris l’habitude de se vanter d’une constante inconstance qu’il appelle « incertitude stratégique », Moscou est capable de montrer à ses adversaires une véritable incertitude calculée, avec moins de vantardise, mais plus d’efficacité. Ainsi, l’un des volets de sa doctrine nucléaire stipule que les armes nucléaires ne pourraient être utilisées que si l’existence de l’État était en danger, comme l’a souligné de nouveau le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov. Mais il serait stupide de le comprendre comme la promesse que Moscou n’utilisera ses armes nucléaires que si la Russie est assiégée et que la moitié du territoire ou de la population russe a déjà disparu.

En réalité, sa doctrine nucléaire permet également de considérer « l’intégrité territoriale et la souveraineté » de la Russie comme des limites critiques. Comment le savons-nous ? Grâce à de nombreux documents russes qu’il est inutile de citer ici, car Riabkov a également rappelé cette facette de la politique russe dans la même déclaration où il a mis l’accent sur le critère de « l’existence de l’État ». Bien fait pour toi, Emmanuel !

Moscou se réserve explicitement le droit de frapper au-delà du champ de bataille

Un dernier point, semble-t-il, mérite également d’être souligné : la Russie n’a jamais restreint sa possibilité d’utilisation des armes nucléaires, voire de tous les types d’armes, à la zone d’un conflit local spécifique, par exemple l’Ukraine. Bien au contraire. Moscou se réserve explicitement le droit de frapper au-delà du champ de bataille. Le président Vladimir Poutine l’a clairement exprimé dans son discours devant l’Assemblée fédérale russe en février dernier. C’est exactement le message que le Royaume-Uni a aussi reçu lors de la récente crise.

La Russie a mis l’Occident en garde de façon répétée depuis le célèbre discours du président russe Vladimir Poutine à la conférence de Munich sur la sécurité en 2007

Quelle qu’en soit l’interprétation, la doctrine nucléaire officielle russe contient des messages particuliers à ses adversaires potentiels. Moscou a constamment appliqué cette doctrine tout au long de la guerre en Ukraine et dans ses récentes mises en garde à ses adversaires occidentaux, à l’aide de manœuvres et de démarches diplomatiques.

Mais c’est là que le bât blesse : l’Occident s’obstine à ne pas entendre les messages de la Russie. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec une guerre. La Russie a mis l’Occident en garde de façon répétée depuis le célèbre discours du président russe Vladimir Poutine à la conférence de Munich sur la sécurité en 2007. Le dernier avertissement majeur a eu lieu fin 2021, lorsque la Russie, avec Sergueï Riabkov à l’avant-garde, a proposé à l’Occident ce qui s’est avéré être une dernière chance d’abandonner son unilatéralisme et, en particulier, l’expansion de l’OTAN, en négociant à la place un nouveau cadre de sécurité. L’Occident a rejeté cette proposition. Avec les armes nucléaires en jeu, il est temps que les élites occidentales apprennent enfin à écouter lorsque la Russie donne des avertissements sérieux.




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