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Dmitri Souslov : il est temps pour la Russie d’envisager une explosion nucléaire de démonstration

Le bloc dirigé par les États-Unis a perdu sa peur du champignon nucléaire. En voir un permettrait à certains de mieux se concentrer, estime le politologue russe Dmitri Souslov.

Par Dmitri Souslov, membre du Conseil russe de politique étrangère et de défense, directeur adjoint du Centre d’études intégrées et européennes à l’École des hautes études en sciences économiques et expert du club de discussion Valdaï.

Tout porte à croire que les États-Unis et plusieurs de leurs alliés pourraient bientôt autoriser Kiev à utiliser des armes occidentales, notamment des missiles à longue portée pour frapper des objectifs à l’intérieur des frontières, disons internationalement reconnues, de la Russie.

Aux États-Unis, сomme l’a récemment écrit le New York Times, y sont favorables le secrétaire d’État Antony Blinken, la plupart des républicains au Congrès (y compris le président de la chambre basse, Michael Johnson) et beaucoup de responsables de la politique étrangère, comme Victoria Nuland, qui a récemment démissionné de son poste de vice-secrétaire d’État. En Europe, la Pologne, les pays Baltes, le plus grand parti d’opposition allemand, la CDU/CSU, et certains hommes politiques d’Europe occidentale, dont le secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique, David Cameron, y sont aussi favorables.

Récemment, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a lancé un appel similaire. Il n’aurait pas fait de telles déclarations si la question n’avait pas déjà été examinée sur le plan pratique et si elle ne bénéficiait pas d’un soutien considérable de Washington. On en est déjà arrivé au point où la question a été discutée au niveau des ministres de la Défense des États membres de l’UE.

Une telle décision conduirait le conflit à un niveau fondamentalement différent. Cela signifierait que l’une des «lignes rouges» les plus marquantes qui existent depuis le 24 février 2022 serait effacée et que les États-Unis et l’OTAN entreraient directement dans une guerre contre la Russie. De fait, les frappes seraient effectuées sur la base de coordonnées fournies par les services de renseignement occidentaux. Les décisions relatives à ces frappes seraient prises par des responsables militaires occidentaux (les médias ont publié à plusieurs reprises les aveux d’officiers ukrainiens selon lesquels chaque cas d’utilisation de missiles occidentaux est coordonné à l’avance par des conseillers militaires occidentaux), et ce seraient même probablement des officiers occidentaux qui appuieraient sur le bouton. Ce n’est pas un hasard si le chancelier fédéral allemand Olaf Scholz justifie sa réticence à transférer des missiles Taurus à l’Ukraine par le fait qu’ils devront être contrôlés par les militaires allemands, et non ukrainiens.

C’est pourquoi refuser ce droit à Kiev était la principale condition pour lui fournir une assistance militaire, et l’un des grands principes de l’implication de l’Occident dans le conflit dès le début de l’opération militaire spéciale.

Une logique qui conduit inévitablement à la troisième guerre mondiale

Il y a au moins deux raisons pour lesquelles l’Occident discute aujourd’hui le rejet de ce principe. La première et la plus importante est la position de plus en plus désastreuse des forces armées ukrainiennes sur le champ de bataille, alors que l’Occident a maintenu pendant toute la période de l’opération militaire spéciale que l’issue du conflit était d’une importance existentielle non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour lui-même. Le résultat du conflit déterminera la nature du nouvel ordre mondial, ainsi que le rôle et la place de l’Occident, de la Russie et d’autres centres de pouvoir. Autrement dit, l’Occident lui-même a donné au conflit ukrainien l’importance d’une guerre mondiale et, par conséquent, la défaite de Kiev serait sa propre défaite stratégique et l’effondrement ultime de l’ordre mondial centré sur l’Occident. En conséquence, plus la situation de l’armée ukrainienne sur le front est mauvaise, plus l’Occident est prêt à prendre le risque d’une escalade.

La seconde raison est le refus de la Russie d’aggraver ses relations avec l’Occident chaque fois qu’il franchissait l’une ou l’autre «ligne rouge» et s’impliquait de plus en plus dans le conflit (en fournissant à Kiev des chars, des avions et, enfin, des missiles à longue portée). En conséquence, comme le soulignent constamment les médias occidentaux, la crainte d’une escalade, qui était relativement élevée au début de l’opération militaire spéciale, a progressivement diminué.

Ainsi, l’Occident estime que les coûts d’une défaite de Kiev sont bien plus importants que les risques d’une confrontation militaire directe avec la Russie en cas d’utilisation d’armes occidentales pour frapper son territoire en profondeur. Les voix de ceux qui affirment que même cette fois-ci Moscou n’infligera pas de dommages militaires directs aux pays occidentaux sont de plus en plus fortes.

Cette logique conduit inévitablement à la troisième guerre mondiale. Et si l’Occident ne cesse pas de s’impliquer dans ce conflit, une véritable guerre «chaude» entre la Russie et l’OTAN deviendra inévitable. De plus, en raison de la supériorité des États-Unis et de l’OTAN dans le domaine des armes conventionnelles, cette guerre passera inévitablement au niveau nucléaire.

Dans quelques mois (ou peut-être quelques semaines), la même logique s’appliquera pour déployer des troupes occidentales régulières en Ukraine et abattre des missiles russes au-dessus de l’Ukraine depuis le territoire des pays de l’OTAN. Le régime de Kiev a formulé ces propositions avec de plus en plus d’insistance ces derniers temps.

En outre, depuis un peu plus de deux ans, le régime de Kiev a déjà frappé à plusieurs reprises l’infrastructure des forces nucléaires stratégiques russes avec des drones. Imaginez maintenant que les frappes sur les aérodromes de l’aviation stratégique russe et/ou les radars russes qui font partie du système d’alerte aux missiles soient effectuées par des missiles occidentaux sur la base de coordonnées reçues par des satellites occidentaux, et que ce soient probablement des militaires occidentaux qui appuient sur les boutons de lancement.

Même selon la doctrine nucléaire russe actuelle (une doctrine de «temps de paix» qui a certainement besoin d’être durcie), à savoir les Principes fondamentaux de la politique nationale de la Fédération de Russie dans le domaine de la dissuasion nucléaire de 2020, de telles frappes constituent une raison officielle pour utiliser des armes nucléaires.

Un champignon nucléaire pour frapper les esprits 

Il n’y a qu’un seul moyen d’empêcher un développement aussi catastrophique des événements : renforcer nettement la politique de dissuasion et d’intimidation de la Russie. Un «gel» des opérations militaires le long de la ligne de front actuelle sans conditions politiques pour Kiev et sans modalités au sujet de sa coopération sécuritaire avec l’Occident serait totalement inacceptable.

Aujourd’hui, certaines forces politiques occidentales militent de plus en plus en faveur de cette option, menaçant d’escalade en cas de refus. Mais cette option n’est absolument pas avantageuse pour la Russie, puisqu’elle signifie une militarisation encore plus importante de l’Ukraine et une intégration militaire plus profonde avec l’Occident. Pour le dire simplement, il y aura une menace encore plus grande aux frontières de la Russie.

Au lieu de cela, il faut tout d’abord annoncer aux États-Unis et à l’OTAN à peu près ce que Moscou a déjà dit à Londres après les propos de David Cameron sur le droit de l’Ukraine à frapper n’importe où avec des missiles britanniques Storm Shadow. À savoir qu’en cas de réalisation d’un tel scénario, la Russie se réserve le droit de prendre pour cible des objectifs des pays concernés, y compris les États-Unis, partout dans le monde. Les bases militaires américaines dans le monde sont nombreuses.

Deuxièmement, il est important de déclarer officiellement que si, en réponse à de telles frappes russes, les États-Unis ou l’OTAN lancent une frappe non nucléaire sur le territoire russe, Moscou peut, à son tour, utiliser des armes nucléaires, en pleine conformité avec les Principes fondamentaux de la politique nationale de la Fédération de Russie dans le domaine de la dissuasion nucléaire.

Troisièmement, étant donné qu’il s’agit d’éventuelles frappes non seulement sur des installations britanniques mais aussi américaines (et d’une éventuelle réponse militaire directe des États-Unis), il serait souhaitable d’organiser des exercices d’utilisation des forces nucléaires stratégiques, en plus de ceux actuellement menés sur l’utilisation d’armes nucléaires tactiques,

Enfin, quatrièmement, pour prouver le sérieux des intentions russes et convaincre nos adversaires que Moscou est prêt à une escalade, il faut penser à une explosion nucléaire de démonstration. L’effet politique et psychologique d’un champignon nucléaire, diffusé en direct sur toutes les chaînes de télévision du monde, ramènera, espérons-le, les hommes politiques occidentaux à la seule chose qui a empêché les guerres entre les grandes puissances après 1945 et qu’ils ont presque perdue aujourd’hui, à savoir la peur d’une guerre nucléaire.




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