Chroniques

Fiodor Loukianov : la mort du président Raïssi va-t-elle changer l’Iran ?

Le décès brutal du président iranien Ebrahim Raïssi, tué dans un accident d'hélicoptère le 19 mai, fait ressurgir des pensées fatalistes à une période dangereuse pour la région.

Fiodor Loukianov est rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs, président du Conseil de politique étrangère et de défense, directeur scientifique du club de discussion «Valdaï».

La mort tragique du président iranien Ebrahim Raïssi et du ministre des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian a ranimé les pensées fatalistes sur les facéties du destin. Il y a des suspicions inévitables que quelqu’un ait pu «contribuer» au crash de l’hélicoptère. Au final, on découvrira la vérité mais pour l’instant, on ne peut que rappeler qu’il y a 14 ans, le crash de l’avion du président polonais Lech Kaczynski près de Smolensk semblait si peu probable qu’il était impossible de croire qu’il s’agissait d’un simple concours de circonstances. Tout s’est avéré plus simple et plus banal, même si les acolytes paranoïaques de Kaczynski insistent toujours sur le fait qu’il s’agissait d’une attaque terroriste. Mais là, il s’agit d’un cas clinique.

En Asie occidentale, l’Iran est un pays clé. Presque tous les processus les plus importants dans cette région du monde sont liés à Téhéran d’une manière ou d’une autre : par son implication directe, ou bien par son influence. La stabilité de l’État iranien est l’un des facteurs les plus importants pour l’équilibre de la région. On peut l’apprécier ou non, mais tout le monde le reconnaît. La première question est donc de savoir si ce bouleversement peut conduire à une instabilité interne qui se propagerait au-delà des frontières du pays. Les experts de l’Iran présenteront des arguments bien fondés, mais pour un spectateur externe, comme l’auteur de ces lignes, le système semble parfaitement à l’abri de ce risque. Dans le système de gouvernance iranien, le président n’est pas le chef de l’État (c’est le guide suprême), mais le chef de l’exécutif, comparable à un Premier ministre, de nature plutôt politique que technocratique.

Un appareil étatique iranien résilient

Le président est élu par vote populaire, mais après une étape de filtrage idéologique et de rejet des candidats jugés indésirables par le Conseil des gardiens. Les électeurs disposent ainsi d’un choix, même s’il est limité par le cadre approuvé. Cela permet d’éviter des virages trop brusques. Il convient de souligner que les élections présidentielles (et parlementaires) ne se limitent pas à l’approbation de candidats présélectionnés, mais qu’il existe une concurrence et une lutte réelles et que le résultat n’est pas toujours celui qui est préféré par le pouvoir clérical suprême. Par exemple, le président Khatami dans les années 1990 et le président Ahmadinejad dans les années 2000, qui représentaient des forces idéologiquement opposées, ont tous deux été élus à l’encontre des attentes du groupe au pouvoir.

Cependant, cela n’a pas entraîné de chocs car les extrêmes avaient déjà été éliminés. Et aujourd’hui, en Iran, comme dans la plupart des pays du monde de nos jours, l’aptitude à obtenir le résultat souhaité sans distorsions électorales flagrantes s’améliore.

Néanmoins, le paysage politique iranien est hétérogène, comme dans tout grand pays influent. Grâce à un système complexe de gestion et de contrôle et à une certaine duplication des fonctions, l’appareil étatique est suffisamment résistant aux chocs comme celui qui vient de se produire.  Il n’y a pas de vide du pouvoir. Cependant, la même complexité et la présence de groupes d’intérêts différents (parfois très différents) augmentent les risques de perturbation de l’équilibre interne. D’autant plus que la situation interne en Iran est, pour ne pas dire plus, loin d’être idéale. La lassitude d’une partie de la population active face au régime théocratique et à ses restrictions, d’une part, l’impact négatif des sanctions américaines sur le développement, d’autre part, et l’inquiétude générale croissante à mesure que la région devient un centre de bouleversements internationaux, tout cela crée des conditions potentielles pour une aggravation de la situation. En ce sens, tout événement imprévu comporte des risques. La mesure dans laquelle quiconque voudra les exploiter deviendra claire dans un proche avenir.

«Aucun changement de politique étrangère ne devrait être attendu»

Les relations entre l’Iran et Israël, les deux principaux rivaux régionaux, sont devenues non seulement le cœur de la politique au Moyen-Orient, mais aussi un facteur d’importance mondiale. La confrontation est irréconciliable et il n’y a même pas de solution hypothétique. Il est naturel que ces deux pays figurent dans le contexte nucléaire : Israël en tant que détenteur de facto d’armes et l’Iran en tant que puissance capable de les produire. Cela souligne le statut de ces deux acteurs, qui diffère même de celui de pays influents tels que la Turquie ou l’Arabie saoudite. Malgré des propos acerbes, l’Iran et Israël ont agi avec prudence. Comme l’a montré le récent échange de coups, aucune des deux parties ne veut aller plus loin, du moins pas encore. Mais à l’intérieur des «lignes rouges» définies par les deux parties, la rivalité est féroce. Et l’encouragement mutuel à l’instabilité interne est la norme. La situation entre l’Iran et les États-Unis est similaire, bien qu’ici la capacité des parties à faire des compromis soit un peu plus élevée. Cela a été démontré au cours de la dernière décennie lors des négociations sur le programme nucléaire iranien, mais ensuite, tout s’est effondré.

Le plus important pour les responsables iraniens est maintenant de convaincre leur propre peuple et les observateurs extérieurs que la stabilité du système reste intacte et qu’il fonctionne normalement. Aucun changement de politique étrangère ne devrait être attendu, car le gouvernail est entre les mains du guide spirituel Ali Khamenei. Des ajustements situationnels sont possibles. Pour la Russie, la mort de Raïssi est un événement particulièrement triste, car le président sympathisait avec notre pays et était déterminé à coopérer étroitement avec nous. Mais aucun dirigeant iranien ne permettra une rupture avec Moscou. Il est également vrai que les intérêts de l’Iran et de la Russie ne coïncident pas dans tous les domaines, et tout haut responsable à Téhéran défendra fermement ses positions.




Des centaines de milliers d’Iraniens rendent un dernier hommage à Ebrahim Raïssi


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