Chroniques

Macron, le petit soldat de la paix… ou de la guerre ?

À l’occasion des «Rencontres pour la paix», organisées cette année à Paris, où les représentants des différentes confessions sont réunis pour parler de «paix», Emmanuel Macron s’est sans surprise adapté à son milieu et a lui aussi parlé… de paix. L'analyse de Karine Bechet-Golovko.

En tout cas d’une certaine paix après la guerre. On notera en passant l’absence de représentants de l’Église orthodoxe russe. À l’heure, où l’Église orthodoxe ukrainienne canonique est victime d’un véritable anéantissement par le pouvoir en place à Kiev, cela aurait été une bonne occasion de protéger la paix en Dieu. Mais cette absence est bien significative de la conception de la paix qui flotte dans l’air saturé de carbone, et encore plus d’hypocrisie, de notre bonne vieille capitale française.


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Emmanuel Macron a ainsi déclaré qu’il faudrait repenser notre rapport à la Russie, mais cet exercice, pour lui, ne pourra avoir lieu qu’après la guerre en Ukraine et devra conduire à la mise en place d’un nouvel ordre international, évidemment plus juste.

Qui pourrait dire le contraire ? En fait, ces déclarations, qui ont fait largement réagir, ne sont qu’un tissu de banalités. Rien de nouveau : le système international est en train de mourir sur le front ukrainien et le vainqueur de ce conflit pourra déterminer un nouvel ordre international. Macron espère être du côté des vainqueurs.

L’organisation des rapports internationaux issus de la Seconde Guerre mondiale reposait sur l’équilibre des forces entre deux blocs : le bloc de l’Ouest, dirigé par les États-Unis, et le bloc de l’Est dirigé par l’URSS. Nous n’étions alors déjà plus dans un schéma d’États souverains, mais la dualité des centres de pouvoir permettait de garder un certain équilibre et les organes internationaux issus de ce rapport de forces ne pouvaient alors servir les intérêts d’un seul acteur.

Avec la chute de l’URSS, cet équilibre fut violemment rompu, mais les organes sont restés. Le bloc de l’Ouest s’est transformé en bloc unique. La globalisation est alors née, avec un seul centre de pouvoir. Les institutions issues de la Seconde Guerre mondiale tombèrent donc logiquement entre les mains du seul pouvoir réel qui les a instrumentalisés à son profit. Le processus de désétatisation, déjà engagé avec la constitution des blocs, ne fit que s’accélérer après la chute de l’URSS. Le principe fut simplement radicalisé, la graine était déjà plantée.


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Cet écart entre le caractère statique des fondements institutionnels de l’organisation du monde après la Seconde guerre mondiale et l’évolution politique rapide, c’est-à-dire la modification de la gouvernance au sein de l’ordre international, explique l’impression parfaitement justifiée de vétusté d’un système dépassé. Dépassé et injuste, car il a perdu sa logique interne initiale, qui comprenait des mécanismes de contrepoids, disparus en même temps qu’un des blocs.

Pour autant, il est évident qu’un nouveau système ne pourra être mis en place qu’à la fin de la guerre en Ukraine, qui dans tous les cas aura enterré cette organisation du monde. En revanche, quel sera ce monde «plus juste», cela dépendra du vainqueur. Le vainqueur sera seul à avoir la puissance et la légitimité nécessaires à l’établissement ce qui est «juste», c’est-à-dire correspondant à sa vision du monde. Le vainqueur sur le plan militaire doit également l’être sur le plan idéologique.

Si la Russie est ce vainqueur, nous entrons dans un monde multipolaire. Autrement dit, nous refaisons le chemin vers la souveraineté des États en passant par le stade intermédiaire de la multipolarité, donc de plusieurs pôles de pouvoir comprenant plusieurs États autour d’un État-centre, lui réellement souverain. Ce qui peut aider les autres États à progressivement réinstaurer les mécanismes de souveraineté, dont ils se sont dépouillés depuis des dizaines d’années, et à reprendre la voie de gouvernance nationale.

Si la Russie perd, nous entrons alors dans une nouvelle ère, dans laquelle les structures étatiques ne seront pour longtemps que des coquilles vides, devant servir à gérer les populations résidant sur les territoires du monde global, dans l’intérêt supérieur de ce pouvoir supérieur. La guerre déclenchée en Ukraine contre le Russie ne sera logiquement que le premier épisode d’une longue liste de conflits, dont nous pressentons déjà l’émergence : un système avec un seul centre de pouvoir ne peut se permettre le luxe du pluralisme, tout ce qui n’est pas avec lui est contre lui et doit disparaître. Telle est la logique totalitaire, telle est la logique globaliste. Avec une alternative, le monde n’est plus global.

Quel monde va défendre Macron à l’ONU dans son allocution ? Peut-on sérieusement penser qu’il va plaider pour un monde laissant les États recouvrer leur souveraineté et donner la priorité à leur intérêt national ?

Qui irait alors se battre sur le front ukrainien pour l’intérêt supérieur atlantiste ? Qui sacrifierait son économie nationale ? Qui écraserait alors les révoltes sociales ?

Qui ? Personne.

Macron, au saint des saints de la globalisation, ne va pas remettre celle-ci en cause. Il va la légitimer. La légitimer comme seul mode de gouvernance «juste». Légitimer ainsi toutes les guerres menées et à mener en son nom contre ses ennemis. Or, tout État qui relève la tête et décide de repenser à son intérêt national risque d’être mis au banc de cette « société globale ». La Géorgie est en train de le découvrir à ses dépens pour avoir simplement voulu savoir qui finançait les ONG travaillant dans le pays, puis refusé la propagande homosexuelle.

Sinon pourquoi Macron veut-il attendre la fin de la guerre pour rendre le monde «plus juste» ? Justement pour voir qui sera le vainqueur. Chacun sa paix, elle n’est pas la même pour le vainqueur et pour le vaincu.

La «paix» portée par Macron est la Pax globale, celle qui ne pourra exister que sur le cadavre de nos pays. Le rapport pacifié qu’il envisage avec la Russie est celui déterminé par le suzerain envers ses sujets, c’est le rapport à une Russie brisée, à genoux, vidée de ses forces et d’elle-même. Une Russie globalisée, à la mesure de la France d’aujourd’hui. Macron pourra alors parler de «paix» avec le dirigeant du dominion de Russie. C’est pour lui la seule voie possible. Car si la Russie sort vainqueur de ce conflit, il ne sera pas là pour discuter. Les vaincus ne discutent pas, ils écoutent.




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