Ces quatre dernières années, la Russie a fait une percée dans le calcul quantique et espère proposer des solutions uniques surpassant celles des leaders mondiaux, la Chine et les États-Unis, à l'horizon 2030, estime Rouslan Iounoussov, conseiller du directeur général de la corporation de Rosatom et co-fondateur du Centre quantique russe.
RT en français : Le Centre quantique russe est chargé du développement d’un ordinateur quantique. Pourriez-vous expliquer en quoi consiste ce projet ?
Rouslan Iounoussov : Il s’agit d’un grand projet qui permet de créer un ordinateur quantique sur plusieurs plateformes de pointe à la fois. Il s’agit d’atomes, d’ions, de photons et de supraconducteurs. En effet, nous avons fait une percée considérable au cours des quatre dernières années en partant de zéro, d’à peu près 2 qubits. Aujourd’hui, nous avançons vers l’étape des ordinateurs quantiques de taille moyenne qui, vers la fin de l’année, pourraient atteindre le seuil des 50 qubits. Globalement, c’est Rosatom qui est responsable du projet avec le Centre quantique en tant qu’exécuteur principal de la partie scientifique et de la recherche sur le projet. Quinze grandes universités ainsi que des instituts de l’Académie des sciences œuvrent au projet avec le Centre quantique russe.
RT en français : Cet ordinateur quantique, à quoi peut-il servir ?
R. I. : Vous posez une question compliquée. D’un côté, aujourd’hui, nous sommes déjà conscients des types de tâches auxquelles un ordinateur quantique sera destiné, et nous, en tant qu’humains, en avons fort besoin. Il s’agit, par exemple, de la création de nouveaux matériaux qui peuvent avoir des propriétés physiques : un matériel ultrarésistant et en même temps très léger ou encore un super-conducteur à température ambiante ou des aimants puissants sans utilisation de métaux précieux. Bien évidemment, nous avons besoin de tous ces matériaux, nous ne savons pas les fabriquer, nous aimerions bien apprendre.
D’un autre côté, il peut s’agir de nouveaux médicaments ou de catalyseurs, ce qui peut considérablement améliorer notre vie. Outre les nouveaux matériaux, on peut utiliser des ordinateurs quantiques dans toute sorte de domaines, par exemple pour résoudre des problèmes d’optimisation complexes tels que ceux liés aux finances, à la logistique et à la gestion de la production. Il s’agit d’un cercle de questions assez large. Pour faire simple, l’ordinateur quantique est un grand superordinateur, un superordinateur capable d’effectuer plusieurs calculs en parallèle. Là où la tâche demande la réalisation d’un grand nombre d’opérations de calcul en parallèle, un ordinateur quantique peut être très performant.
RT en français : L’apparition de ce type de technologie suscite des inquiétudes quant à la possibilité d’un piratage informatique d’une ampleur sans précédent. Ces craintes sont-elles justifiées ?
R. I. : Quand on parle d’un ordinateur quantique, à part les avantages prévus pour améliorer notre vie, on évoque souvent le risque qu’il peut représenter pour les systèmes informatiques parce que les systèmes de chiffrement existant aujourd’hui peuvent être piratés par les ordinateurs quantiques. Pourtant, ce n’est probablement pas la première mission d’un ordinateur quantique puisque les normes requises envers les composants sont plus strictes qu’envers la chimie quantique, même si tôt ou tard un ordinateur quantique sera capable de pirater les codes de chiffrement. Ici, il est important de noter que ces dernières années un travail important a été mené non seulement sur les composants nécessaires pour fabriquer un ordinateur quantique mais aussi sur les algorithmes, les logiciels. Au niveau du piratage, de la factorisation, certains succès ont été obtenus en termes d’algorithmes de sorte que les exigences en matière de composants diminuent. Ainsi, il est probable que dans les prochaines années nous commencerons à dire qu’un ordinateur capable de pirater les systèmes informatiques est sur le point de voir le jour.
RT en français : Dans ce domaine il existe une véritable concurrence entre les pays comme la Chine ou les États-Unis… Comment la Russie se positionne-t-elle ?
R. I. : Effectivement, une course au calcul quantique, comme on l’appelle, se déroule en ce moment. La Chine et les États-Unis sont les deux leaders mondiaux en termes de calcul quantique. Ces quatre dernières années, nous avons bien avancé en Russie et actuellement nous nous positionnons dans le groupe des leaders. Nous avons créé un ordinateur quantique sur différentes briques de base matérielles à la fois. À l’horizon 2030, nous prévoyons de nous rapprocher encore plus des leaders et dans certains domaines spécifiques, de présenter des solutions uniques surpassant celles de la Chine et des États-Unis. Nous allons voir, mais la course est vraiment lancée. De plus, nous observons qu’ils commencent à imposer des restrictions sur l’exportation de ces technologies. Par exemple, il est interdit d’exporter plus de 35 qubits. Nous sommes donc témoins d’un système classique d’une compétition technologique en cours quand un ordinateur quantique s’inscrit dans la souveraineté technologique des pays. Personne n’a l’intention de la distribuer à droite et à gauche, c’est pourquoi en Russie nous avons besoin de nous doter de notre propre technologie.
RT en français : Comment les nouvelles technologies et les nouveaux matériaux pourront-ils améliorer notre vie future ?
R. I. : Nous parlons d’un ordinateur quantique, pas des matériaux. Or, ce même ordinateur quantique doit être fabriqué à partir de quelque chose. Le processus de nanofabrication est très exigeant quant aux matériaux. Il s’agit de différentes résistances, de différents éléments chimiques. Ce sont avec ces matériaux que sont fabriquées les machines. Les matériaux servent de base et sont donc indispensables. Les étapes du développement de la civilisation sont liées à certains matériaux. L’âge de pierre, l’âge de bronze, l’âge de fer… On est maintenant dans l’âge post-industriel, l’âge de l’information, mais certains l’appellent l’âge de silicium. Et bien sûr, les matériaux déterminent en grande partie ce que nous pouvons fabriquer. Si nous ne pouvons concrétiser certaines idées des années 80 qu’aujourd’hui, c’est parce que nous pouvons obtenir des matériaux de qualité appropriée. Nos prochains pas sont et seront liés à la question de savoir si nous pourrons obtenir tels ou tels matériaux.
Russie-Éthiopie : la coopération dans l’énergie nucléaire pacifique va bon train
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.